« Le journalisme et la culture aux mains des géants du web américains »

À la suite des annonces de la ministre du Patrimoine Mélanie Joly sur la politique culturelle, Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications (FNC) a publié un texte dans La Presse que nous reproduisons ici. La décision du gouvernement libéral de ne pas taxer Netflix notamment a suscité de nombreuses réactions des milieux de la culture et des médias.

 

« Le journalisme et la culture aux mains des géants du web américains »

Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications (FNC)

« Nous n’avons pas l’intention de soutenir les modèles qui ne sont plus viables pour l’industrie. » C’est en ces termes que la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a annoncé que son gouvernement largue les médias écrits quotidiens, imprimés ou numériques.

Même s’il s’agit d’un des seuls secteurs culturels à n’avoir jamais été subventionnés par des fonds publics, le gouvernement Trudeau va à l’encontre des avis d’experts et refuse de lui apporter du soutien. En d’autres mots, le Canada est prêt à laisser mourir ceux qui sont des piliers de sa démocratie.

Il est évident que le modèle d’affaires de la presse écrite bat de l’aile : Ottawa laisse filer les revenus publicitaires qui autrefois finançaient la production journalistique vers les géants du web américains sans aucune forme de taxation ou de redevance. Pendant ce temps, Facebook et Google n’investissent rien dans la production et encaissent les profits en diffusant les contenus produits à grands frais par d’autres. La crise économique des médias d’information provoquée par cette inéquation a entraîné la perte de dizaines de milliers d’emplois au Canada en 10 ans, ce qui a inévitablement un impact sur la qualité, la diversité et la pluralité de l’information.

Pratiquement aucune industrie culturelle n’est durable sans subventions et aides publiques, incluant le jeu vidéo. L’argument de la viabilité des modèles d’affaires est tout simplement irrecevable. Pourquoi fermer la porte à nos médias écrits qui sont le fer de lance de l’information partout au Canada ? Combien de bulletins de nouvelles, d’émissions télévisuelles ou de radio s’abreuvent des quotidiens pour bâtir leurs propres contenus ?

Dire croire à l’importance du journalisme mais ne rien faire pour en assurer la survie revient à remettre les clés de notre démocratie entre les mains des géants américains.

Une autre décision qui illustre l’amour de notre gouvernement pour les plateformes de Silicon Valley : Facebook fondera, en partenariat avec le Digital Media Zone (DMZ) de l’Université Ryerson, le premier incubateur de médias au Canada. C’est donc l’entreprise américaine qui déterminera les initiatives qu’ils soutiendront. On abandonne notre presse écrite quotidienne et on confie son développement numérique à son principal concurrent. En termes de souveraineté et de protection de notre démocratie, on repassera, d’autant plus qu’il n’y a pas de partenariat équivalent du côté francophone. Cette décision est préoccupante au plus haut point.

Impossible de se réjouir de l’entente bilatérale de 500 millions avec Netflix, car dans la réalité, celle-ci constitue une renonciation à imposer une fiscalité équitable pour tous ceux qui font affaire au Canada.

Il ne s’agit pas non plus d’une solution pérenne puisqu’elle expire dans cinq ans. Pire, comme cet argent ne sera pas versé dans le Fonds des médias du Canada (FMC), les productions financées par ces sommes échapperont à nos règles qui seront dictées par et pour Netflix en fonction de ses propres ambitions commerciales, en plus d’échapper aux quotas de production francophone. Cette approche est une abdication des principes d’accès à l’expression culturelle basés sur des valeurs locales et nationales.

Et enfin, le gouvernement se promet de négocier des ententes de gré à gré avec chacune des plateformes qui ébranlent nos industries. C’est un renversement du rôle d’un gouvernement qui est de réglementer dans l’intérêt de ses citoyens et non pas de négocier avec les entreprises privées selon leur bon vouloir.

On ne peut que frémir devant l’hégémonie américaine sur notre culture et l’information. Le gouvernement canadien vient de plier les genoux devant nos voisins, ce qui inquiète alors que l’exemption culturelle générale est à protéger dans le cadre des négociations actuelles de l’ALENA.

La question de la non-juridiction canadienne sur les entreprises numériques hors Canada est une excuse bidon, car elle se règle justement par une législation qui doit régir les transactions commerciales, même en ligne. D’autres pays l’ont fait. En se cachant derrière une promesse électorale de ne pas créer de « taxe Netflix », le Canada renonce en vérité à appliquer les mêmes règles aux entreprises étrangères que celles imposées aux nôtres ; ce qui est totalement illogique et inéquitable. Au contraire, le gouvernement Trudeau brise une autre promesse électorale importante : lutter contre l’évasion fiscale.

 

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