Facebook : une proximité avec le gouvernement Trudeau qui dérange

Un représentant de Facebook a eu plusieurs rencontres avec des ministres du gouvernement Trudeau au cours des derniers mois, à leur demande. Cette proximité inquiète l’opposition à Ottawa et une fédération syndicale représentant des journalistes et des artisans de l’industrie des communications.

Un texte de Philippe-Vincent Foisy

Selon des informations recueillies par Radio-Canada, le directeur des politiques publiques de Facebook, Kevin Chan, a rencontré des ministres du cabinet Trudeau au cours des derniers mois, sans toutefois inscrire ses communications au registre des lobbyistes.

Comme le révélait Radio-Canada en octobre, une seule communication de Facebook a été inscrite au registre des lobbyistes au cours des 12 derniers mois.

Toutefois, en consultant la page Facebook de Kevin Chan, on constate qu’entre juin et septembre 2017, il a eu au moins quatre rencontres et a participé à deux panels avec les ministres des Institutions démocratiques (19 octobre), des Petites Entreprises (16 octobre), de l’Environnement (29 août et 23 juin), des Finances (28 juin) et de la Condition féminine (12 juin).

Kevin Chan indique sur sa page LinkedIn que son rôle consiste « à diriger les efforts des plateformes [Facebook et Instagram] en matière de politiques publiques, en s’engageant dans un dialogue avec la communauté politique sur une variété d’enjeux qui touchent le secteur du web. »

Ça m’indique que l’influence et le pouvoir de Facebook sont un peu trop grands.

Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications (FNC-CSN)

« C’est très inquiétant, soutient Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications (FNC-CSN). C’est notre culture, notre économie, notre souveraineté nationale qui est en jeu […] et ce qui me préoccupe, c’est que des entreprises américaines ont des entrées au gouvernement [beaucoup] plus ouvertes [que nous]. »

L’opposition a aussi dénoncé cette proximité entre le gouvernement canadien et un géant américain du web accusé de tenter de contourner certaines lois fiscales et de « déchirer le tissu social qui définit le fonctionnement de la société. »

« C’est préoccupant, c’est dangereux pour notre démocratie de mettre entre les mains d’Américains notre autonomie », lance le député conservateur Alain Rayes, qui reconnaît que les conservateurs n’avaient pas été les champions de la transparence lorsqu’ils étaient au pouvoir.

Il craint que le gouvernement veuille utiliser de plus en plus les médias sociaux pour contourner les canaux de communication traditionnels afin d’être moins transparent. Alain Rayes évoque la réforme de l’accès à l’information proposée par le gouvernement, qui « entraînerait plutôt une régression des droits existants », selon la commissaire à l’information.

Pour le député néo-démocrate Pierre Nantel, le gouvernement fait preuve d’aplaventrisme.

« Au lieu de simplement négocier avec la nouvelle réalité [des médias sociaux], le gouvernement invite [ces compagnies] et [les] prend par la main au détriment de nos entreprises, de nos artistes et même de notre démocratie, parce qu’on voit ce que ça fait aux médias », affirme-t-il, rappelant que des médias canadiens ont dû cesser leurs activités.

La ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, a défendu son gouvernement.

« Le virage numérique pose plusieurs défis pour nos industries créatives, soutient son porte-parole Simon Ross. Dans le cadre de ses consultations, la ministre Joly a rencontré […] News Media Canada, le syndicat Unifor, la Fédération nationale des communications. Ces rencontres ont permis de mieux comprendre les objectifs de ces plateformes et de faire la promotion du contenu canadien. »

« C’est vrai que [la ministre] nous écoute et nous parle, rétorque Pascale St-Onge. Maintenant est-ce qu’elle entend? Ça reste à prouver. Pour l’instant, [avec] les politiques qu’elle a mises en place, il n’y a pas grand-chose qui nous permet de penser que, comme industrie, on va être viable longtemps. »

La porte-parole de Facebook, Meg Sinclair, a expliqué à Radio-Canada que l’équipe des politiques publiques de Facebook au Canada « collabore avec les élus, les gouvernements et les candidats de tous les horizons politiques pour les aider à gérer leurs propres pages et à interagir efficacement avec les citoyens et les électeurs sur Facebook. »

Un travail que l’entreprise fait « avec un vaste éventail d’organisations, y compris des organismes sans but lucratif, des petites entreprises et des personnalités publiques afin de partager avec elles les meilleures pratiques sur la plateforme. »

Suivre les règles

Selon le Commissariat au lobbyisme, si une rencontre avec un représentant d’une entreprise est demandée par un ministre, elle n’a pas à être rapportée. Quant aux communications inscrites, elles doivent concerner notamment l’élaboration de propositions législatives ou encore l’octroi de subventions ou de contributions.

Au bureau du ministre des Finances, Bill Morneau, on indique que la rencontre du 28 juin a eu lieu à la demande du ministre, qui voulait savoir comment mieux utiliser la plateforme pour mener des consultations budgétaires. Du côté de la ministre des Institutions démocratiques, on explique que la rencontre a eu lieu en marge d’un panel à l’Economic club du Canada et que les discussions ont porté sur la meilleure façon de lutter contre la désinformation électorale. Il y a aussi eu un appel entre la ministre et M. Chan au sujet de MediaSmart, un organisme d’Ottawa. M. Chan est membre du conseil d’administration de cet organisme.

Pour le Bloc québécois, même si le gouvernement respecte la loi, il devrait faire preuve d’une plus grande transparence.

« La loi, c’est le plus petit dénominateur moral ou éthique dans une société, soutient le député Luc Thériault. Ils pourraient dire n’importe quoi derrière ces portes closes, on ne sait rien de ce qui se dit. »

Le porte-parole de la ministre du Patrimoine a rappelé qu’aucune entente, subvention ou politique publique n’a été mise en place au sujet de Facebook.

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